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un lendemain de garde

Cette nuit j’ai (encore) du faire face à la violence des urgences, aux drames de la vie, et aux soignants dyscommuniquants face auxquels je n’ai pas encore la sagesse de tendre l’autre joue.

La violence, la mort, la brutalité. Dans le monde extra-médical, ce sont des évènements rares, des trucs horribles auxquels on survit parce qu’on ne les vit pas tous les jours. Et puis parfois, les deux mondes s’entrechoquent, la vie, ma vie et l’hôpital, mon hôpital. C’est dur.

Je pense avoir de la ressource. J’y travaille en tout cas. Lorsque je prends ma douche dans cette chambre de garde sans fenêtre je me concentre sur les bruits, les sensations de l’eau, les petits muscles qui remettent en place la charpente, etc. Il faut que je me focalise ma conscience sur ces petites choses sinon je refais le match de la garde 107 fois dans ma tête, on ne peut pas supporter ça trop longtemps. Il faut casser cette boucle.

Et puis je rentre chez moi. Pour rentrer je dois franchir plusieurs ponts. A chaque passage je me dis que je laisse derrière moi un peu de l’histoire de cette nuit. Je m’arrache à cet univers blanc qui se travesti souvent de noir.

L’écriture est laborieuse. Je m’arrête là. Derrière les nuages il y a du ciel bleu.

4 réponses sur « un lendemain de garde »

Ouch! j’ai connu ces gardes dont on sort vidé, lessivé, presque sali.
Courage : dehor sil y a le ciel bleu et les martinets revenus … ou pas!

Et le patient lui, si il est conscient, et ses proches qui sont peut être là, attendent tellement de vous, et ne veulent pas savoir si il y a des dysfonctionnements, et espèrent toujours des miracles. Il est sur que vous travaillez sur une « matière » qui pour le commun des mortels est exceptionnelle et que c’est votre quotidien.
Ce qui je suppose procure de grandes joies (quand ça marche) et tristesse et frustration dans le cas contraire.
Et effectivement, votre vie est aussi (et surtout) ailleurs, même si je suppose que vous ne pouvez pas faire votre métier sans avoir un certain niveau d’implication émotionnelle.
Dur métier … mais ce qui ne te tue pas te rend plus fort, au risque me tartalacrémiser.
Il y a de la couleur sur les chemins sur lesquels on court … et si on aime courir c’est sans doute aussi par désir de se confronter à une forme de violence et de difficulté.
Mais à vrai dire je ne connais rien de cet univers … à part comme patient.

Les évolutions sociétales, ne sont souvent que les résultantes des abandons de certains au profit d’autres. C’est vrai pour la violence d’état qui a laissé une libre expression à une violence individuelle. C’est vrai pour la perception de la mort ou du risque, qui a été indirectement niée par les médecins eux-même, idem pour le risque iatrogène. La conséquence est sans appel : mourir, à l’hôpital n’est pas normal à la base pour la population; mais c’est oublier que si on fréquente un lieu de soin, c’est que l’on est potentiellement malade avec le risque de mort, y compris iatrogène. Idem pour la prise de médicament, qui doit être sans risque, sans effet secondaire, ce qui est impossible.
Le déni de la réalité, de la vie, du risque, est tellement fort dans notre société, qu’il y a un choc quand cette réalité explose à la figure comme cela peut se voir dans le cadre des urgences. Et cette réalité, est aussi le constat de notre humanité, de sa faiblesse, de sa fragilité, par nature. Pour commencer à vivre, il faut accepter la mort dans une certaine fatalité. A ce titre là, les sociétés orientales ont une longueur d’avance, à la prétention occidentale de dominer, de contrôler, d’inverser, d’optimiser,…la vie et donc la mort. Le pire est l’assistance qui a conduit à occulter par déresponsabilisation, encore plus la réalité, chez un individu.
Bon courage pour la suite de votre carrière.

J’ai fait six ans de samu/urgences, j’ai hésité à en faire mon métier à cause de la beauté humaine des soignants avec qui je bossais : des gens qui m’aidaient à faire de mon mieux et qui donnaient le mieux qu’ils pouvaient aussi.

J’en garde d’excellents souvenirs et des blessures indélébiles. La sensation des crânes en morceau dans mes mains, les douleurs des familles, la lumière bleue des gyrophares sur les cadavres démembrées et les survivants pas encore morts. Les insultes des régulateurs et des réanimateurs, les remerciements des soignés et des soignants. Je n’en parle plus, c’est du passé. de toute manière les gens qui ne sont pas de ce monde ne savent pas, ne comprennent pas qu’en fait, c’est la guerre tous les jours.

Parfois j’en rêve encore la nuit, plus de quinze ans après.

Je te comprends Rémi et je ne pourrais plus faire ton travail.

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