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Tribune d’un pilote

Bonjour tout le monde,

Vu que l’on mentionne l’aéronautique ici, je vais apporter quelques points de l’intérieur.

Pilote de ligne moi-même, je vais tacher d’expliquer deux-trois fondamentaux de notre profession. Il n’est bien sur ici aucunement question de donner des leçons à qui que ce soit, mais simplement d’expliquer certains outils que nous appliquons au quotidien dans notre profession. Je vais tacher de structurer mon propos afin de rendre cet article le plus clair et compréhensible possible. Je remercie l’auteur de ce blog pour la tribune qui m’est offerte ici.

Le Tutoiement

Dans notre milieu, le tutoiement est une RÈGLE.

Dans de grandes compagnies aériennes, il n’est pas rare de voler avec un équipage un jour, et de ne plus JAMAIS le recroiser de toute sa carrière. Alors me direz-vous, à quoi bon se tutoyer dès le premier café si aucune relation durable n’est envisagée.

Et bien pour la seule et unique raison que notre évolution de la sécurité aérienne s’est construite sur une abolition pure et simple des barrières hiérarchiques orales. En 30 ans, nous avons réussi à garder une hiérarchie visuelle (les galons sur nos uniformes ne sont pas là pour faire beau, mais pour rappeler à tout moment la place que chacun occupe dans l’équipe), tout en éliminant l’action individuelle. La cohésion, l’esprit d’équipe, encourager l’ensemble des acteurs avec qui nous travaillons à partager leurs opinions, à participer à la détection de l’ERREUR.

Il est donc VITAL de créer une atmosphère de confiance, d’ouverture et d’écoute, d’établir le ton juste pour toute la durée de la rotation. Il est essentiel de créer un environnement psychologique de Sécurité absolue, où il n’y a pas de questions stupides, où chacun a l’obligation de dire les choses lorsqu’une anomalie est détectée, développant ainsi un sentiment de responsabilité partagée par l’ensemble de l’équipage. La question n’étant pas de savoir qui a trouvé la solution, mais de savoir que c’est LA bonne solution. Quel est le projet d’action qui mènera au meilleur résultat ? Comment puis-je m’appuyer sur l’expérience et le vécu de chacun des membres de mon équipage pour établir une stratégie dans un souci permanent de sécurité. Et pour cela, je dois m’assurer dès le premier Bonjour que je mets mes collègues dans cette optique d’ouverture et d’écoute. Et le tutoiement permet d’insuffler ça.

La hiérarchie

Comme je l’écrivais au-dessus, l’Aviation Commerciale a réussi un pari ambitieux. Encourager une atmosphère de « flat management » dans un système pourtant pyramidal. Dans un avion, le Commandant de Bord trône au sommet de cette pyramide. Il demeure la dernière personne à décider, et est responsable pénalement de son avion et de son chargement. C’est généralement lui et lui seul qui devra rendre des comptes en cas de problème. Après 3 décennies de formations, de remises en question, d’accidents, d’erreurs, on a réussi à créer un système qui favorise l’action collective, sans remettre en cause l’autorité, la responsabilité ni l’expertise de chacun dans la chaîne hiérarchique.

J’ai pour habitude dans mes briefings avant le premier vol de la journée de rappeler que chaque membre d’équipage est essentiel au bon fonctionnement de notre mission, et que tout membre d’équipage est invité à verbaliser ses doutes ou poser des questions. Cela ne vient pas entamer mon Leadership. Mais au contraire, permet à mes collègues de savoir qu’en cas de pépin, je reste accessible. Ça suppose aussi que je peux être amené à commettre des erreurs, par mégarde ou sans le savoir, et qu’ils sont invités à me les signaler.

Un exemple à mes yeux, qui montre à quel point nous avons exacerbé cette écoute des avis et opinions extérieures, se produit lorsqu’on vol en « Jumpseat ». Le jumpseat est un siège supplémentaire situé dans le cockpit, généralement emprunté par les personnels de la compagnie à titre gracieux ou à des tarifs très préférentiels. Si vous êtes pilote dans une grande compagnie nationale, il n’est pas rare de « jumpseater » dans le cockpit de collègue que vous ne connaissez absolument pas. Et pourtant, vous allez les tutoyer sans la moindre retenue, et les chances sont grandes pour que les pilotes vous incluent dans le briefing. Car on a conscience que trois paires d’yeux valent toujours mieux que deux. On intègre dans notre schéma mental, qu’en dépit de toutes les précautions, vérifications et contre vérifications effectuées, il n’est pas impossible qu’on ait laissé filer quelque chose. Et le pilote qui est assis derrière nous, a peut-être une vision plus détachée, plus large de la situation, et peut-être qu’il captera quelque chose que nous aurions manqué. Et s’il verbalise ça, personne ne s’offusquera. Au contraire !

C’est ce qu’il s’est passé lors de l’explosion en vol de l’un des réacteurs de l’A380 de la compagnie australienne Qantas reliant Sydney à Singapour le 4 novembre 2010. Ce jour-là, un réacteur explose en plein vol, les pannes se déclenchent en cascade, l’aile est perforée de toutes parts, les alarmes s’enchaînent les unes après les autres et le cockpit est aussi illuminé qu’un sapin de Noël. La chance du vol QF32 ce jour-là ? Ils étaient CINQ pilotes dans le cockpit. Aussitôt, une synergie s’est créée, chacun travaillant à résoudre les problèmes les uns après les autres. Ensemble. On a coutume de dire que la performance d’un équipage travaillant en synergie dépasse la somme des performances individuelles des pilotes (1+1>2)

Le traitement de l’Erreur et le Retour d’Expérience

L’un des plus grands progrès dans notre Industrie a été l’obligation de déclarer son erreur tout en étant assuré qu’aucune sanction ne nous serait appliquée. Nous avons compris que l’Homme étant par nature faillible, l’immense majorité des accidents survenus dans le passé et à venir a été et serait le fait de l’Homme. Alors nous avons instauré un système non punitif de déclaration de l’Erreur. Je fais une connerie, je l’admets, et on essaie d’en tirer quelque chose de positif. Comment ? Et bien en partageant le cas vécu avec le plus grand nombre. Quitte à ce que cela soit anonyme de façon à ne pas heurter l’individu. Chaque compagnie possède un système informatisé qui centralise l’ensemble des rapports et compte-rendus de chacun. Tout le monde y a accès librement, et une fois par an on essaie de discuter de tous les évènements produits durant l’année. Chaque événement déclaré est analysé à posteriori par l’un de nos pairs spécialement désigné (un Officier Sécurité des Vols), et avec l’encadrement, les équipes de formations, une stratégie est mise en place. Est-ce que cette erreur est due à un problème de formation ? Si oui, est-ce un problème individuel ou bien lié à une mauvaise conception d’une procédure ? Etc

Il s’agit in fine d’une remise en question de tout et tout le monde permanente. Non pas pour le plaisir de douter, mais parce que c’est la seule façon que nous ayons trouvée pour passer d’un accident tous les 100 000 vols à 1 tous les 11 000 000 de vols. En 2014, l’Aviation Civile a transporté un peu plus de 3,3 milliards de passagers et en a tué 641. Bien sur, l’amélioration des systèmes automatisés, des appareils eux-mêmes, des infrastructures globales, a largement contribué à améliorer nos statistiques. Mais compte tenu que 99% des crashs étaient et sont toujours liés à l’Humain, on s’est dit que le FACTEUR HUMAIN devait être au centre de tout.

Cette petite tribune n’a pas pour but de se gargariser sur comment qu’on-est-trop-forts. Nos statistiques, nous les avons amélioré dans le temps et surtout dans le sang. Pour cela nous avons reconsidéré notre système depuis la base jusqu’au sommet, et avons fini par engranger quotidiennement de petites réussites, qui, mises bout à bout, forment aujourd’hui un succès global et colossal.

Fred

5 réponses sur « Tribune d’un pilote »

Intéressante vision de l’intérieur, on peut se demander pourquoi dans d’autres endroits sensibles les mêmes mesures ne sont pas mis en œuvre ou alors très lentement.
J’ai une explication qui vaut ce qu’elle vaut et malheureusement ne repose pas sur l’angélisme. Une des grosse différence entre un pilote de ligne et par exemple un médecin, en dehors du fait qu’un être humain n’est pas pas un avion, je ne reviendrais pas sur ce point, est que si l’avion tombe la probabilité que le pilote meurt est équivalente à celle que les passagers meurent. En médecine, il est rare que la mort d’un patient s’accompagne de la mort de son médecin, dans l’ex-union soviétique oui, mais passons. Mon hypothèse est que la mise en place plus facile des mesures décrites ici tient à la peur de mourir du pilote. Quand notre vie est en jeu souvent nous faisons un peu plus attention.
Ce n’est qu’une hypothèse bien sur.

Bonjour PUautomne,

Intéressante remarque en effet.
Mon hypothèse est plutôt qu’un mort en avion fait toujours plus de bruit qu’un mort à l’Hôpital.
Pourtant le nombre de mort à l’Hôpital en France en 2015 dépasse à lui seul le nombre de passagers tués en avion les 20 dernières années.
J’aurais du préciser dans ma “Tribune“ que le changement n’est pas venu de la corporation des pilotes.
Il est venu initialement de l’IATA (association internationale des compagnies aériennes) en … 1975(!)
Alors que les appareils devenaient de plus en plus sûrs techniquement, le nombre de mort ne cessait de croitre. (Plus de 60 crashs entre 1968 et 1976).
Les pouvoirs publics et les compagnies aériennes ont alors commencé à chercher les autres facteurs de risques dans nos accidents. En 1977 c’est l’accident de Tenerife, le plus grave de toute l’histoire de l’aviation civile. Et le point de départ d’un changement majeur et profond. En 1979 la NASA met en place l’expérience de « Ruffel-Smith » dont les conclusions sont ÉDIFIANTES tant nos lacunes sont grandes en terme de Leadership, Communication, Prise de décision et Coordination au sein de l’équipage.
Bref, mon propos veut simplement offrir une anti-thèse à la votre.
Je ne pense pas que notre introspection s’est basée sur une peur de mourir… Mais plutôt dans une vraie optique de sauvegarde humaine et de Sécurité des Vols.

Bien à vous.

Un chouette livre illustre merveilleusement le propos : « Les décisions absurdes II : comment les éviter » (option sur le tome 1 mais le tome 2 reprend pas mal d’idées du 1).
J’ajouterais qu’en cas de crise, il faut toujours garder en tête d’autres solutions possibles. Cela permet de choisir la meilleure et de se replier en cas d’imprévu supplémentaire (selon la règle de M Chirac qui veut que « les emmerdes volent en escadrille »). La tape de l’accident de Cactus1457 illustre cela aussi : on propose au moins 4 solutions au pilote pour se poser.

Bonjour Didier,

Vous mentionnez l’enregistrement du vol de l’Hudson, et comme vous le dites, plusieurs solutions sont proposées. Toutes sont des solutions que l’homme est capable d’accepter. (Revenir se poser sur l’aéroport dont on vient de décoller, ou bien tenter de se poser sur l’aéroport de Teterboro “juste là“ sur la droite… )
Pourtant on sait aujourd’hui de façon mathématique (avec les conditions atmosphériques du jour, la masse de l’appareil au décollage etc), que toutes les solutions proposées auraient mené à la catastrophe. Et il n’a fallu que 208 secondes à l’équipage pour analyser, traiter, et décider de prendre LA SEULE solution pour laquelle ils n’avaient jamais été entrainé, la SEULE solution qu’ils n’avaient, de l’aveux du Commandant lui même, ne serait-ce qu’imaginé !
Et pourtant… C’était la seule solution qui permettait de sauver 156 vies.
Un tel résultat de performance n’est possible que dans un environnement synergique qui a l’habitude de s’entrainer encore et encore et encore et encore (tous les 6 mois pendant toute notre carrière), à toutes les éventualités possibles en ÉQUIPE.
Pendant ces 208 secondes entre le flame-out des deux réacteurs et l’amerrissage dans l’Hudson, les deux pilotes n’ont cessé de travailler ensemble, se répartissant instinctivement les tâches à effectuer.
Le Commandant de bord gérait la trajectoire et la radio, son second gérait les check-lists et tentait de redémarrer jusqu’au bout les deux réacteurs.

Bien à vous

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