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La plaie

J’ai écrit ce texte il y a longtemps. Je ne l’avais pas publié. Je l’ai retrouvé à l’occasion d’un tri dans mes fichiers (rationalisation de l’accumulation de données). Le texte est sévère. Je vous enjoins à trouver les messages en filigrane. Il y a des choses qui me tiennent à coeur… voici donc le texte :

15 août, je suis en vacances. Être en vacances, ça veut dire que je ne vais plus à l’hôpital soigner des patients. Par contre, je continue de faire le métier. Je m’entraîne d’autant mieux que je peux dormir plus et qu’il n’y a pas de rush pour caser des sessions. 

Le matin je chasse les segments Strava dans un parc local. C’est une entorse à mon programme d’entraînement. Ma dérive commence ici. Je mange un morceau pour aider à la récupération vers 10h30-11h puis je pars nager vers 12h30. Je me cale sur la marée basse parce que la marée montante m’aidera à rentrer. Les courants locaux sont difficiles à interpréter et plusieurs marins s’accordent pour dire qu’il y a des journées vraiment curieuses ces temps ci. 

L’objectif est de faire 2000 mètres à allure course. Je mets mes tongs dans ma bouée orange. Et zou, y’a personne dans la flotte, le temps est un peu gris, quelques vagues et du vent.

Je pars un peu vite. Comme en course. Les “tourbillons” de sortie de conche me freinent dans mon ardeur. Encore une fois je suis scotché face au rivage. Je cherche des portes de sorties en prenant plus au large. Ca passe. Je trouve mon rythme. Je suis bien essoufflé. Je vise un peu moins souvent que lors des derniers entraînements. Je commence à arriver sur l’autre plage où j’avais décidé de faire demi-tour. Je relève plus souvent le nez pour bien viser. Malgré tout, je me fais insidieusement déporté vers le rivage. Mon cerveau mal irrigué par l’effort ne corrige pas le tir assez vite et bim je tape un rocher sous l’eau avec ma main gauche. On ne voit guère plus loin que son coude dans cette eau sableuse. Des lames de rasoir se cachent sous l’eau… J’ai déjà vécu ça au même endroit. Je sais que ça va être moche… je prends tout de suite un cap à la perpendiculaire pour m’échapper des rochers. Et je repars de plus belle, concentré dans mon exercice (pas malin mais de toute façon à ce point, je dois nager au moins 500 mètres pour regagner une plage). Je finis mes 2000 et à la sortie de l’eau je vois des griffures sur les doigts mais surtout une belle entaille sous l’éminence thénar avec pas mal de sang. Je marche la main en l’air en appuyant sous la plaie.

En rentrant, je vois que ça n’est pas très profond, uniquement de la peau mais tout de même la radiale ne devait pas être loin (gloups). 

Le bon sens me dit qu’il faut un avis médical et probablement un point de suture. Je nettoie la plaie. J’appuie bien. Je me tonds le bras et la main. Je me douche pour enlever la combi et le sel. Et je finis la dépilation avec un rasage très doux sur le dessus du poignet. Rassuré par la clinique, je me dit qu’il n’y aura pas besoin d’explorer sous anesthésie et je mange un morceau avant d’aller aux urgences. 

 

Arrivée aux urgences locales. Des banderoles CGT partout. Je connais le contexte. J’attends un peu un agent d’accueil. Pas longtemps. Je tends à la dame en lui disant bonjour ma carte vitale, ma carte d’identité et ma carte mutuelle que j’avais préparées. Je n’entends rien de ce qu’elle me demande à travers “l’hygiaphone” mais ça ne prends que 5 minutes de m’enregistrer. Je dois attendre là, on viendra me chercher. Je dégaine mon téléphone pour chouiner sur les réseaux sociaux. Et puis j’ouvre mon livre “the Line” du Dr Freeman, ancien médecin de la Sky et de British Cycling. Le livre me saoule un peu, c’est le chapitre sur les traumas crâniens et je n’ai pas trop envie de lire ça maintenant… heureusement on m’appelle une trentaine de minute plus tard. Je passe le sas en suivant un vieil ours barbu avec une tenue SMUR.

 

C’est clean, je ne vois pas grand monde dans les urgences mais on ne me fait pas la visite non plus ! L’ours m’installe sur un brancard dans une salle de suture et sans se présenter il me demande ce qui m’amène *aux urgences*. Son ton appuie sur ces mots, je me dis qu’il voit que j’ai l’air bien et qu’il se demande ce qu’il y a. “Une plaie de main en nageant que je lui réponds”. En préparant ses compresses, il me demande en me tournant le dos de quand date mon vaccin anti-tétanique. “Décembre 2006” (j’avais vérifié avant d’aller aux urgences). Il dit que c’est bien sans réagir au fait que je réponde du tac au tac. Je pense que c’est un infirmier, vieux de la vieille, je vois le genre…

A ce moment un bizuth rentre en souriant “bonjour je suis l’interne” (moi je lis FFI, il n’a pas dit son nom non plus). Il me demande ce qui m’est arrivé. Je réponds une plaie de main en nageant. 

Il regarde. Je demande si un point ou de la colle aideront mon affaire ? Le vieil ours dit “un point”.

Le med6 (c’est comme ça qu’on dit ?) prépare son matériel comme un bizuth, à deux à l’heure. Me demande quand même ce que je fais comme métier mais ne n’interroge sur rien d’autre et ne m’examine pas. Pendant qu’il dresse sa table. Je me remémore automatiquement un exercice du DU d’hypnose sur le gant magique. Ce jour là, j’étais parti faire un truc que j’aime bien dans mon imagination et mon collègue psychiatre Christian m’avait surpris et ça avait vraiment déclenché des sensations physiques inhabituelles. Il avait mit dans le mille. Rien d’évoquer ça dans mon esprit je suis en hypnose en deux secondes ma respiration s’accélère ainsi que mon rythme cardiaque. Je le fais facilement. Comme lors des répétitions mentales des courses.

Je sors aussi vite que je suis rentré car le bizuth me raconte qu’il hésite entre néphro et anest-réa (sans revenir sur le fait qu’il est déjà l’interne ;)). J’élude assez vite en disant que je le comprends, j’aimais bien les deux aussi. J’ai fait des meilleurs rencontres en anesthésie et c’est ça qui m’a poussé sur cette voie. Aujourd’hui j’aime ce que je fais mais je le mets en garde… sur le nombre de gardes… Il me répond qu’en libéral ça doit aller. (EmojiYeuxAuCiel)

Là dessus il me pique sans me prévenir ni explication (je m’y attendais). Deux infiltrations de lido pour un point de suture. Discutable mais je comprends sa prudence… J’ai envie de faire mon professeur et de lui demander l’éternelle question des gaziers aux externes “sais tu quelle dose de max de lido tu peux injecter ?” mais je ferme ma bouche. Il fait son point et voilà c’est fini. Il me dit qu’il va me faire une ordonnance pour qu’une IDE me retire le point, je négocie plutôt une lame de bistouri pour faire des économies. 

J’attends un peu qu’il me fasse mon ordonnance de pansement. Je donne des nouvelles aux proches. Quelques minutes plus tard, Ours revient me coller un pansement (c’est donc bien l’infirmier ;)) en me recommandant de ne pas me baigner et d’éviter la plage en me concédant que c’était pas pratique dans cet environnement balnéaire (point humanité). Et il me dit que je peux y aller. Je lui demande “vraiment ? pas de paperasse ?”. Il me répond que je suis libre. Cool ! Je le remercie pour ses soins. Dans le couloir l’interne me tend quand même une ordonnance avec 5 lignes (!!!). Je le remercie pour ses soins. 

Je rebascule de l’autre côté du sas. Je demande à l’hôtesse si je dois régler quelque chose. Elle s’étonne de ma question et me répond que non, c’est bon. Vive la France. 

 

L’affaire a duré 1h15. C’est bien. Mais je suis sévère au fond de moi et je me dis que ça pourrait être tellement plus facile d’être un chouilla plus humain. Ca fait partie de ce dont on entend parler non ? Que le vieil ours soit épuisé je le comprends. Que le Med6 dans la fleur de l’âge n’ait pas d’expérience je le comprends. Je suis content d’avoir eu ma suture mais je suis triste de voir que les gens ne savent pas parler. Et si je comprends de loin pour l’avoir frôler la notion d’épuisement , je pense que mieux parler aux gens permet d’être plus satisfait de son travail et de lutter contre le marasme au travail.

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