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Check-list, égo et formation médicale

Récemment, j’ai reçu un mail pro qui m’a fait rire. Il disait en gros : « bon les gars, on a encore fait une boulette, faut qu’on la fasse la check-list au bloc opératoire ». Cet enthousiasme pour la check-list était naturellement porté par notre collègue qui s’occupe de la « qualité ».

Depuis la lecture de « La Revanche du Rameur » je regarde avec un oeil rebelle ce qui est étiqueté « qualité des soins ». Ayant un peu mieux compris les mécanismes retors qui sous-tendait ce type d’activité.

Néanmoins je trouve ça bien les checklists, j’en suis largement convaincu par mon activité de pilote du dimanche. Pour une fois, je converge avec notre Monsieur Qualité et même l’EBM !

Ce mail est rentré en collision avec une conversation que j’avais eu la veille avec une amie pilote (de tous les jours) et une autre, championne du marketing et des ressources humaines. On discutait justement de ça entre nous. Pour elles, la Médecine fait le grand écart entre une technicité de pointe et une gestion des « facteurs humains » proche de l’inexistant. 

Les facteurs humaines en aéronautique c’est la compréhension de ce qui peut nous faire faire des erreurs humaines : les limites de notre physiologie (la fatigue, les perceptions sensorielles erronées) et aussi la capacité à travailler en équipe. Pour nous les facteurs humains ça peut aller de la fatigue en milieu de garde au mésusage des gants pour mettre une voie veineuse. Mais surtout, nous savons peu (voire pas du tout) travailler réellement en équipe.

Travailler en équipe ça s’apprend et mes deux amis s’étonnaient qu’alors que nous sommes capables de réapprendre toujours plus de médicaments (qui ne servent à pas grand chose) et/ou de nouvelles techniques (échographie en anesthésie-réa par exemple) nous n’abordons jamais les facteurs humains et le travail en équipe.

Au fil de la conversation, trois points-clés sont apparus pour expliquer cela :

  1. L’absence de formation initiale sur les facteurs humains, les relations humaines professionnelles
  2. L’égo médical
  3. L’absence de contrôle continu des pratiques et des connaissances

Notez bien que j’ai mis l’égo médical au centre 😉

D’abord le système est ainsi fait qu’on balance un étudiant de 18 ans à l’hôpital après une première année de médecine laborieuse pour découvrir le système hospitalier. Pour moi ça a consisté à découvrir la pyramide de la hiérarchie et qu’en étant au plus bas, je n’étais  qu’un serf corvéable sans explications ni remerciements. Difficile ensuite de renverser la vapeur et d’apprécier le travail en équipe. Y’a du boulot.

Ensuite, on nous enseigne ce qu’est un examen clinique. Coeur de métier, il s’inscrit dans la relation médecin-malade (qu’on écrit toujours dans ce sens d’ailleurs) que de grands éxégètes de la psychologie médicale glorifient. Je pense que le lien que les médecins entretiennent avec leurs patients au sein d’une consultation relève effectivement de quelque chose d’unique. Mais maintenant il faut trouver de la place pour les autres. On ne soigne pas toujours tout seul dans son coin un patient. Les intervenants peuvent être multiples. Pourquoi les médecins pensent si souvent : « finalement c’est moi qui ait la responsabilité de ce patient, je dois donc jouer des coudes pour qu’on tiennent mes objectifs ».

Enfin, le dernier point : l’évaluation continue. Problème applicable à tous les exercices médicaux (là où auparavant je suis peut être plus focalisé sur la médecine hospitalière). Pas de remise en question du droit de pratiquer la médecine. Pas d’évaluation continue. Chacun trace sa route, c’est la liberté totale de prescription et de pratique tout au long d’une vie.  Je ne sais pas jusqu’à quel point ce système est louable. Tous les pilotes commerciaux repassent régulièrement des évaluations pour prolonger la validité de leurs licences. Ils sont évalués assez justement par des pairs qui passent aussi dans la moulinette du test. Bien sûr, il semble au premier coup d’oeil qu’il est plus facile de « codifier » la façon dont on pilote un Airbus A320 que le « Soin ». La prise en charge d’un patient relèverait plutôt d’une sorte de perpétuelle adaptation. Mais j’ai envie de répondre que d’une part le pilote doit lui aussi s’adapter à un environnement très variables et qu’il existe aussi en médecine des tas de situations qui se ressemblent. Et malgré le fait que l’on cerne assez bien certaines pathologies chaque médecin raconte et prescrit ce qu’il veut et ça ne sera jamais remis en question par quiconque…

Alors voilà, mes propos peuvent paraitre curieux, pourquoi plus de coercition dans un système déjà difficile à vivre ? Parce que je crois que la liberté c’est plutôt choisir ses propres règles. Et vous qu’en pensez-vous ?

6 réponses sur « Check-list, égo et formation médicale »

Tu as tout résumé à la fin : les règles et procédures ne sont vraiment efficaces que lorsque nous nous les sommes appropriées pour leur valeur intrinsèque, voire modifiées pour les adapter à notre singularité. Ce sont les règles imposées et rigides qui sont toxiques.

Je n’ai pas très bien compris ta position sur l’évaluation continue et l’articulation entre le dernier paragraphe et ta conclusion vers plus de liberté ? Je ne suis pas d’accord avec cette phrase « chaque médecin raconte et prescrit ce qu’il veut et ça ne sera jamais remis en question par quiconque ». Sur chaque prescription ou prise en charge c’est difficile, mais il est possible de surveiller le volume global de prescription (antibiotique par exemple). Ceci peut inciter un médecin à se remettre en question (il faut qu’il en ait envie évidemment). Indirectement il est remis en question par le patient au vu de la tolérance et des effets secondaires, même si la prescription de base est correcte. Les séances de Formation Médicale Continue existent pour les médecins généralistes, depuis longtemps maintenant. Est il souhaitable de transformer ces séances en examens ? Ca me parait rajouter un stress supplémentaire dans une profession qui n’en a pas besoin. D’autre part, il est quand même difficile de se tenir au courant de tous les référentiels sur chaque pratique, et d’avoir en tête le plus récent au moment de la consultation. Donc oui un médecin raconte et prescrit ce qu’il veut mais, pour la très grande majorité, surtout ce qu’il pense être adapté à la situation et au patient.

Salut YersiniaBoy,

je sais que mon propos peut être être jugé comme contraignant. Simplement pour moi il faut voir plus loin. Elever globalement le niveau des connaissances et des pratiques c’est finalement se donner plus d’air à tous et pas nous étouffer. Regarde notre confrère twiterraux comme F ou Dr_S qui soupirent tous les jours devant les pratiques biscornues de leurs associés. Les patients ont une attitude ambivalente vis à vis des ces toubibs irritants (pour moi) : ils vont les voir parce qu’ils obtiennent d’eux ce qu’ils veulent ou des compromis mous souvent basés sur des connaissances médicales hésitantes.

Lorsque tu me dis que les CAM peuvent évaluer, elles le font assez globalement je crois. L’indicateur « prescription d’antibiotiques » me parait maigre à côté de tous les paramètres d’une antibiothérapie recommandée : indication claire, molécule et posologie adaptées.

La FMC existe mais elle a un caractère hypocrite : il faut continuer à se former mais je ne connais pas de système de crédit clair et formateur. Je ne connais pas de système où en France les médecins peuvent justifier d’une FMC qui leur apporte quelque chose. Je ne connais pas de système où le médecin est évalué par ses pairs. Je me bouge le cul pour que le DU que je suis ne sois pas juste quelques heures assis sur une chaise. Je veux y arriver et je suis d’accord pour qu’on me réclame des objectifs difficiles, il n’y a que comme ça que j’aurais appris et assimilé quelque chose de nouveau pour moi. C’est très différent de comprendre un peu un sujet et de le maîtriser. Mes amis pilotes, quelque soit leur expérience et leur avancement dans leur compagnie passent régulièrement des séances de simu où ils doivent être très performant. S’il y a un échec, ils repassent le test jusqu’à ce que ça soit compatible avec les standards de la compagnie : tout le monde est dans le même bain, ça égalise en plus très bien les rapports professionnels.

A bientôt !

Haaaa, article qui me fait plaisir !
C’est exactement le message que nous essayons de faire passer auprès de tes confrères durant nos activités de « consultants aéronautiques ». 😉

ah ben dis donc, je suis honoré de ton passage par ici 🙂 tu te rends compte que ton blog a marqué ma vie à jamais ?

P.S. la médecine a 30 ans de retard dans le domaine de la sécurité et du travail en équipe, très très très peu de gens en ont conscience.

Loin de moi l’idée de protocoliser à outrance, je déteste ça et je préfère l’intelligence et le socle de connaissance et d’expérience de ceux qui font des soins depuis les lustres (cf la revanche du rameur) m

Mais les conflits et les boulettes bêtes sont légions. J’ai assisté à un drame il y a quelque temps. Un vrai. Avec le recul je pense majoritairement que c’est du à des facteurs humains et des problèmes d’égo et de mésentente au sein d’une équipe.

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