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Je ne prescris plus d’albumine

^^ CLICK  BAIT ALERT ^^

J’aime l’idée de toujours avoir une explication quand on prescrit  un truc.

Je n’aime pas quand l’interne répond « c’est l’habitude ici » ou « parce que le Dr X fait ça » à ma question sur la justification de sa prescription. (Attention, une habitude de service peut être quelque chose de bien, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit).

Depuis quelque temps, je lis sur l’albumine (comme soluté de remplissage). Franchement je n’ai jamais  été à l’aise pour choisir entre  albumine à 4% et albumine à 20%. Il y a bien sûr quelques situations « claires » en hépatologie. Mais l’hépatologie « médicale » n’est pas tellement de mon ressort. Je verse (ahaha) plutôt dans le périopératoire.

Alors pourquoi prescrire de l’albumine en péri-opératoire ? Recueil de réponses-memes :

  • pour mettre  autre chose quand on a déjà passé plein de cristalloïdes
  • pour remonter l’albuminémie
  • parce qu’on a plus de Voluven
  • pour garder l’eau dans les vaisseaux
  • pour éponger les œdèmes vers les  vaisseaux
  • pour mettre moins de volume de remplissage
  • pour boucher les trous dans le glycocalyx
  • pour transporter les médicaments (furosémide)
  • comme soluté lors d’une plasmaphérèse

Je sais que je peux être jugé présomptueux rien que pour oser supposer des erreurs de raisonnement dans l’espace  public. Franchement, je n’ai pas du tout la réponse à la question « dans quelles situations l’albumine va améliorer le pronostic de mon patient en périopératoire ? » mais je pense que prudence est mère de sureté et que lorsqu’on n’est loin de maitriser ce qu’on prescrit, il faut s’arrêter et aborder le problème différemment.

Une bonne façon d’aborder le problème c’est de lire, encore et encore et de garder un œil critique sur ce que nous faisons. Personnellement, j’achetais bien les idées sur le pouvoir oncotique, malheureusement, lorsqu’on lit sur l’équation modifiée de Starling expliquée et « popularisée » par le Dr Thomas Woodcock (voir aussi ici et , attention c’est velu), on se rend compte que ça ne tient plus la route : les phénomènes d’absorption dans la majorité des capillaires ne sont que très transitoires.

L’albumine baisse dans l’inflammation, il y a probablement des mécanismes adaptatifs en jeu comme rendre disponible des acides aminés (pour le système immunitaire ?), pour de la régulation acido-basique ? Quand est-ce qu’on bascule dans le pathologique qui mérite l’intervention ?

Ensuite, si les colloïdes et l’albumine ont un pouvoir expansif plus élevé que les cristalloïdes, ça serait probablement en pompant de la flotte au détriment du glycocalyx, contribuant ainsi à une plus grande dilution de l’hémoglobine, pas glop.

Il y a aussi des signaux qui laissent penser que l’albumine peut-être bénéfique chez certains patients. Peut-être certains chocs septiques  ? Mais aujourd’hui, je pense qu’il y a beaucoup de remplissage par albumine qui répondent juste à notre envie de *faire quelque chose* sans que ce quelque chose soit clairement positif pour le patient. Et si l’albumine permettait de sauver des vies chez des patients choc septique, j’en doute quand il s’agit d’une administration au bloc au cours d’une longue chirurgie… et le coût d’une solution d’albumine est quand même d’une cinquantaine d’euros !! (100 ml SAC 20% ou 500 ml SAD 4% c’est kif-kif chez moi en terme de prix).

En conclusion, je me vois assez bien freiner encore plus ma prescription de ces solutés dans les mois à venir. A moins que je pige (ou qu’on m’explique, cher lecteur, ne te prive pas de me donner ton avis en commentaire !) de nouveaux trucs pour améliorer le pronostic des patients.

Bonne semaine à tous !

P.S. pour équilibrer ce post voici un article récent conseillé par @rombarthelemy sur l’albumine, le glycocalyx et la microcirculation. (bon l’article est sponso par un équivalent espagnol de LFB : Grifols) https://annalsofintensivecare.springeropen.com/articles/10.1186/s13613-020-00697-1

4 réponses sur « Je ne prescris plus d’albumine »

Bonjour, remplir avec de l’albumine est un non sens médico-économique. Par contre, donner de l’albumine à 20% quand un patient a moins de 20g d’albumine a un intérêt pharmacologique, car bon nombre de médicaments sont liés à l’albumine, et si on n’en a pas assez, on augmente la toxicité des thérapeutiques.

Bonjour,

Pourquoi un seuil à 20 g/L, et concernant la phrase « et si on n’en a pas assez, on augmente la toxicité des thérapeutiques », auriez-vous des références svp ?
Et donc, question subsidiaire : pourquoi ne pas diminuer la posologie de ces thérapeutiques (pour ne pas être toxique) ? (plutôt que d’administrer de l’albumine).

Merci pour vos réponses

Merci Rémi pour ce billet très intéressant.

Quand on était étudiant, c’était facile : on en mettait pour augmenter la pression oncotique et garder l’eau en intravasculaire. Mais à force de lire et de creuser le sujet, c’est vrai que ça ne devient plus aussi simple : c’est même trop compliqué.

Personnellement, j’utilise l’albumine (hors patient hépatopathe) :
. dans les chocs septiques avec hypoalbuminémie (pour son effet médicament antioxydant, et non pour son effet remplissage) (ALBIOS, NEJM 2014 et co)
. dans les chocs hémorragiques avec transfusion massive (mêmes raisons, et je me dis aussi que le meilleur soluté de remplissage étant le sang total, il faut chez un patient qui perd du sang, restaurer ses globules rouges, ses plaquettes, ses facteurs de coag, etc.. mais aussi son albumine, son calcium, etc.. (aucune référence).
. pas chez les trauma crâniens graves (en tout cas pas d’albumine à 4%, RFE SFAR 2016)

Je pense qu’il faut aussi savoir que
. l’albumine à 4% est acidogène, c’est-à-dire qu’elle induit une acidose, car 1) apporte de l’albuminate, et 2) a un SID (strong ion difference) bas (= n’est pas balancée). (Bihari et al. Early Changes in Serum Electrolytes and Acid-Base Status With Administration of 4 % Albumin. Intensive Care Med. 2014.). Donc si le patient arrive avec une acidose et une hypoalbuminémie, lui administrer de l’albumine à 4% aggravera son acidose.
. l’albumine à 20% ne diminue pas le pH, car malgré l’apport d’albuminate (acidogène), la solution est très balancée (SID >> 40) (Mallat, Meddour et al. Effects of a Rapid Infusion of 20% Human Serum Albumin Solution on Acid-Base Status and Electrolytes in Critically Ill Patients. Intensive Care Med. 2016.)

Donc (personnellement) : j’utilise exceptionnellement l’albumine à 4% : seulement si patient hypoalbuminémique et alcalémique (donc très probablement aussi hypovolémique) (aucune référence, mais je trouve ça élégant de corriger le pH, le Cl-, l’albumine, la volémie, en 1 seul coup).

Hello ! merci pour ton solide commentaire. Présentement en train de lire laborieusement le livre de T Woodcock je redécouvre aussi les problèmes acide-base. C’est une des raisons qui font penser que l’hypoalbuminémie dans plusieurs situations graves est un mécanisme adaptatif. Quand est-ce que c’est dépassé, that it the question…

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