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Comment est-ce que j’appréhende la douleur aiguë ?

Je viens de lire cette note chez le brillant Litthérateute. Cela m’a donné envie de vous parler de ma façon d’aborder la douleur aiguë. Je suis médecin anesthésiste, la gestion de la douleur aiguë c’est vraiment une part importante de mon métier. Dans l’exercice de ce billet de blog, je me suis concentré sur ce que j’écris, dans le dialogue je ne suis pas une machine, néanmoins, j’insiste quant à l’importance du choix des mots +++

  1. L’anticipation. Je ne vais pas réécrire toute l’anesthésie dans un billet de blog mais il y a bien des situations qui méritent qu’on anticipe la gestion de la douleur : les douloureux chroniques, les angoissés, les gens qui ont eu une mauvaise expérience précédemment. Je pense que ça commence par plusieurs points :
    • Bien dire au patient qu’on avait compris que la douleur est un problème pour lui
    • Expliquer que l’on va mettre des stratégies antalgiques pour répondre à ça
    • Souligner que les soignants seront là pour l’accompagner et qu’on ajustera selon son ressenti
    • Montrer des pistes avec des exercices d’auto-hypnose auxquels il convient de se familiariser ou s’entraîner avant.
    • Par contre, je suis peu enclin à prescrire beaucoup d’antalgiques en fin de bloc. Je ne suis pas fan du cocktail nefopam+morphinique+paracétamol+ketamine+anti-inflammatoire pour l’expositions à des effets indésirables qu’il déclenche.
  2. L’évaluation. Bon, là clairement, je ne suis pas dans les clous de la Qualité. Je n’utilise à peu près jamais l’EVA. Le choix des mots, des articles, de la tournure me parait vraiment importants. De plus, je crois qu’il est intéressant de répéter la réponse du patient. Cela traduit bien que vous l’avez écouté et en le redisant votre cerveau commence déjà à chercher des solutions pour lui. Dans la salle de réveil, ça se passe comme ça :
    • Je commence par un bref « ça va ? » Parfois accompagné d’un geste lorsque le contact a déjà été autorisé et pris (fréquent lorsque j’ai endormi le patient).
    • Je demande  ensuite « Etes-vous confortable ? »
    • Si la réponse est oui, je demande : « Puis-je faire quelque chose pour que ça soit encore un peu mieux ? »
    • Si la réponse est non, je demande : « Qu’est-ce qui vous embête ? la respiration ? (je travaille en ORL) Le bruit ? le chaud ? le froid ? une sensation désagréable ? »
    • Parfois, je me focalise un peu plus sur la douleur, dans ce cas là je demande : « Est-ce qu’il y a une douleur ? »
    • Si la douleur est le problème, je demande si le patient ressent le besoin qu’on lui donne des médicaments contre ça, et s’il y a des médicaments qu’il préfère. Si le patient veut qu’on lui donne des antalgiques, je réponds de suite : « Nous allons faire quelque chose pour que ça aille un peu mieux. Nous avons l’habitude de ça ici, vous allez ressentir la différence ». Si je ressens le besoin d’évaluer, je demande la comparaison avec l’épisode douloureux le plus fort qu’a déjà vécu le patient.
  3. Le traitement. Utilisez plusieurs outils ! comportement, paroles et médicaments.
    • Lorsqu’il faut rapidement soulager, le choix d’un morphinique me parait important. Ensuite, lorsqu’une voie veineuse est disponible et que l’environnement est favorable il faut utiliser la voie IV plutôt que s/c ou IM ! Enfin, toujours si le contexte le permet, je pense que le fentanyl ou le sufentanil agissent plus vite que la morphine.
    • Des explications simples : le bon sens est parfois trompeur, mais ici il me parait être plutôt un allié. Les patients comprennent bien qu’il est « normal » de ressentir de la douleur dans la zone opératoire.
    • Les paroles qui aident : reconnaître et la douleur et dialoguer avec le patient pour caractériser sa douleur avec des images. On peut mettre des mots sur les sensations. « Votre douleur ressemble à quoi ? Ça vous fait penser à quoi ? Et si c’était une couleur ça serait quoi ? » L’intérêt de la réification c’est qu’on peut plus facilement demander au patient ce qu’il faudrait faire pour transformer cette douleur : changer la couleur par exemple.
    • Méfiance avec le sur-traitement médicamenteux ! Il me parait de ne pas confondre vitesse et précipitation dans le traitement de la douleur. Agir vite, ne veut pas dire bombarder d’antalgiques ! Il me tient à cœur de faire quelque chose, puis d’évaluer s’il y a un changement, même un petit est important. L’intervention magique permettant de passer d’une douleur aiguë intense à l’ataraxie est un mirage.  Les antalgiques sont globalement très efficaces (médicaments avec le NNT les plus faibles que je connaisse) mais aussi pourvoyeurs d’effets indésirables graves ou désagréables. Pour moi, ce qui compte c’est d’arriver à un équilibre où le patient trouve sa douleur « gérable ».

J’avais un peu parlé de tout ça dans un velotaf :

2 réponses sur « Comment est-ce que j’appréhende la douleur aiguë ? »

Idée de startup : un marmiton de l’analgésie post-opératoire ou tout le monde met la recette que sa maman anesthésiste lui a apprise.

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