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Les béta-bloquants c’est pas tout le temps

Je me souviens bien d’une de mes premières visites pré-anesthésiques en premier semestre. Il s’agissait d’un patient au système cardio-vasculaire abîmé par le temps, la cigarette et un régime chti Deluxe. Peu habitué aux soins médicaux il n’avait pas de traitement. Les publications sur les béta-bloquants en périopératoire fleurissaient à l’époque et je me trouvais malin de réfléchir à une prescription d’un bétabloquant la veille de son intervention orthopédique… aujourd’hui je ne me pose plus ce genre de question, j’ai en effet un peu tendance à me méfier des béta-bloquants en périopératoire.

En 2014, les recommandations européennes conjointes de la société européenne de cardiologie et la société européenne d’anesthésie vont dans le sens d’une poursuite du traitement béta-bloquant s’il était instauré avant l’intervention. Pour démarrer un traitement, les recos sont beaucoup plus prudentes. Elles insistent sur le choix de la molécule (atenolol ou bisoprolol), sur le fait de cibler les patients les plus à risque (qui devraient déjà être béta-bloqués d’ailleurs) et sur la nature de la chirurgie. Enfin il ne faut pas se satisfaire de donner un béta-bloquant, il est impératif d’obtenir la fréquence cardiaque cible avec une bonne tolérance. Bref, pas simple.

La littérature sur les béta-bloquants en périopératoire est touffue. Il est très compliqué de se faire une idée soi même en remettant tout à plat. Certains articles majeurs (essais DECREASE) ont été jugés douteux (cf cette page sur Don Poldermans) et la méthodologie de l’essai princeps de Mangano serait à revoir (cf 919.full). De fait, plusieurs méta-analyses incluant ces travaux sont à mettre de côté. Enfin, l’essai POISE nous a montré que les béta-bloquants pouvaient apporter leur lot de complications (difficultés hémodynamiques et AVC aboutissant à une mortalité plus élevée ?).

Toutes ces informations me font regarder avec prudence l’idée d’une poursuite « automatique » des béta-bloquants en périopératoire. Ainsi j’ai tendance à être prudent (diminution de posologie le jour de l’intervention) avec les patients polymédiqués, fragiles, etc. Et sincèrement, je me demande l’intérêt de la poursuite du béta-bloquant chez le patient à faible risque (HTA seule). N’y a-t-il pas plus de risques d’hypotension importante que de bénéfice coronarien ?

Enfin, je pense qu’il faut être hyper-prudent avec les patients qui présentent des difficultés en post-opératoire : hémorragie, anémie, sepsis, syndrome inflammatoire important, etc. En chirurgie viscérale, on n’a pas facilement accès à la voie per os et je ne suis pas persuadé que l’administration en continu d’atenolol rende service au patient. J’ai en effet peur que le béta-bloquant précipite une hypotension ou gêne des mécanismes adaptatifs. Ainsi, sur le même modèle que mes réflexions sur la fibrillation auriculaire post-opératoire, je pense que l’on peut souvent se permettre d’attendre un peu pour mieux cerner la situation avant de dégainer l’atenolol en intraveineux. De même, je rappelle que les béta-bloquants ne sont plus administrés à la phase aigüe de l’infarctus.

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En conclusion, cette note est un appel à la prudence vis à vis des béta-bloquants en périopératoire. Les béta-bloquants en phase aigüe sont probablement plus difficiles à manier qu’en phase chronique.

1.
Beattie WS, Wijeysundera DN, Karkouti K, McCluskey S, Tait G, Mitsakakis N, et al. Acute Surgical Anemia Influences the Cardioprotective Effects of β-Blockade: A Single-center, Propensity-matched Cohort Study. Anesthesiology [Internet]. 2010 [cited 2014 Sep 24];112(1):25–33. Available from: http://journals.lww.com/anesthesiology/Abstract/2010/01000/Acute_Surgical_Anemia_Influences_the.13.aspx
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Effects of extended-release metoprolol succinate in patients undergoing non-cardiac surgery (POISE trial): a randomised controlled trial. The Lancet [Internet]. 2008 [cited 2014 Sep 24];371(9627):1839–47. Available from: http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140673608606017/abstract?isEOP=true
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Mangano DT, Layug EL, Wallace A, Tateo I. Effect of atenolol on mortality and cardiovascular morbidity after noncardiac surgery. N Engl J Med. 1996 Dec 5;335(23):1713–20.
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Bolsin S, Colson M. β blockers for patients at risk of cardiac events during non-cardiac surgery. BMJ [Internet]. 2005 Oct 20 [cited 2014 Sep 24];331(7522):919–20. Available from: http://www.bmj.com/content/331/7522/919 Download
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Bolsin SN, Marsiglio A, Colson M. β-Blockers and cardiac protection. Br J Anaesth [Internet]. 2014 Oct 1 [cited 2014 Sep 22];113(4):721–2. Available from: http://bja.oxfordjournals.org.doc-distant.univ-lille2.fr/content/113/4/721 Download

5 réponses sur « Les béta-bloquants c’est pas tout le temps »

Decrease pas douteux pourri donc à oublier totalement ,la confusion vient souvent des aléas de la cs préop qui voit des malades non évalués :une indication de PEC peut être « de fond » mais pas forcément pour le péri-opératoire

Le souci c’est toujours d’évaluer la pertinence des prescriptions pour des patients vus au passage, et là pour toi : juste en péri-opératoire.

Dans un monde idéal le médicament prescrit est justifié, efficace, nécessaire (puisqu’il est maintenu en chronique) et bien toléré.

Dans le vrai monde, il est discutable (HTA limites, migraines peu fréquentes), pas toujours efficace (TA restant limite sous traitement, migraines restant non modifiées sous traitement), pas vraiment nécessaire (il n’empêche pas les « crises »), et pas forcément bien toléré (syndrome dépressif, bradycardies, fatigue chronique, impuissance, décompensation d’un asthme etc.).

Je pense que sur ce genre de consultation, l’idéal serait d’avoir un dossier médical rempli pour évaluer la nécessité du maintien.

ah oui, là le sujet est encore plus vaste… combien d’indications foireuses de clopidogrel, d’AVK, d’antialzheimer, de fibrates, de statines, de benzodiazépines et autres cocktails d’antalgiques pour lesquels je n’ai même pas le droit/la possibilité de hausser un sourcil…

en tout cas j’aimerais par cette note faire réfléchir au fait qu’un béta-bloquant n’a pas que des effets positifs et qu’il ne sauve pas automatiquement du risque coronarien. J’aurais aussi pu rappeler que les études montrent des diminutions de risque dans une POPULATION et pas chez un individu. Ainsi une baisse de 10% de la mortalité dans une population ne signifie pas qu’on baisse de 10% le risque de mourir chez les individus…

Ah Denis Mangano …. J’ai eu la chance d’être au premières loges quand son papier sur l’atenolol est sorti …. C’était un peu particulier car même a l’époque l’atenolol était deja un générique et donc son papier n’a pas été suspect d’être « commandé » par un labo. Il faut peut être se souvenir de ce papier publié dans NEJM : pour faire court, Denis montre qu’un patient qui sous-décale en perop ou qui présente une insuffisance cardiaque en perop a un risque important de faire un SCA dans l’année qui suit … Il montre ensuite que l’atenolol titré en perop + 72 h postop diminue l’incidence de SCA … Et on sait maintenant que ça se paie en plus d’AVC (POISE). Le défaut de ces études est de poser qu’un contrôle « serré » du rythme cardiaque est mieux qu’un controle moins strict ( tiens, revlà les biais cognitifs 🙂 ) . Peut être faut-il en retenir qu’un beta-blocqué doit le rester pour que le pouls reste « raisonnable » ? Trop souvent, je vois des patients opérés avec une fréquence cardiaque au delà de 100 en postop, sans émouvoir personne …. Le controle du rythme dans ces situations me semble nécessaire, surtout sile patient est coronarien (à fort risque) …. Personne, je continue toujours les bêtabloquants en per op. Sauf si le pouls est inférieur à 65 bpm, on décale le traitement.
Le profil pharmacocinétique de l’atenolol permet une administration bi quotidienne sans recourir à une perfusion continue (ca ne change rien de le mettre en sap ou en perfusion de 30 min)

Salut Didier, merci pour tes remarques. Je ne suis pas d’accord avec ce que tu expliques. Voici pourquoi :

1) les patients vasculaires sont beaucoup mieux médicalisés qu’il y a 15 ans : traitements de fond, angioplasties, poursuite de l’aspirine, surveillance post-opératoire, etc.
2) la tachycardie est souvent une réponse physiologique à un problème : anémie, hypovolémie, sepsis, complication chirurgicale. L’idée de masquer ce signe trop vite m’embête.
3) je suis dubitatif quant aux infarctus post-opératoires. Je vois beaucoup de troponites (+/- avec de l’insuffisance rénale hum), j’ai déjà vu d’authentiques cardiopathies de stress mais franchement je n’ai pas vu beaucoup d’infarctus comme on en voit aux urgences ou au SAMU (douleur thoracique et modification ECG franche). Ensuite je rappelle qu’en cas d’ischémie coronarienne authentique, le béta-bloquant peut faire pire que mieux. En effet l’équation ralentir = moins de conso d’O2 n’est pas valable si une coronaire est bouchée, non ?

Bref, je crois que l’argument de la tachycardie comme un facteur de décompensation d’une ischémie coronarienne est trop utilisé aujourd’hui. De même nous sous estimons la réserve diastolique. Si le coeur ne se remplit plus et n’éjecte plus dès que la FC s’élève on verrait une épidémie de décès par insuffisance circulatoire non ? On touche ici au deuxième raccourci que je n’aime pas : tachycardie n’est pas systématiquement égale à baisse du VES (et les sportifs en savent quelque chose !)

A bientôt 🙂

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