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La kétamine

La kétamine est ma molécule anesthésique favorite. A la fois molécule sérieuse et mystérieuse elle connait un franc regain d’intérêt depuis la prise en compte de l’hyperalgésie post-opératoire.

La kétamine peut s’administrer sous plusieurs formes : IV, IM, po ou IR sont les voies les plus communes. Après une administration IV elle se fixe très rapidement sur ses récepteurs notamment au niveau cérébral. Son volume de distribution est élevée, elle est peu liée aux protéines plasmatiques. Le métabolisme est très majoritairement hépatique. L’insuffisance rénale avancée augmente tout de même la concentration plasmatique de l’ordre de 20%. La molécule n’est pas épurée en dialyse. La demi-vie de la molécule est de 2 à 3 heures. Il faut noter que la kétamine est rapidement métabolisée en nor-kétamine, métabolite actif qui sera éliminé beaucoup plus lentement pouvant participer aux bénéfices analgésiques ou aux inconvénients psycho-dysleptiques.

La kétamine va avoir pour effet de bloquer le canal calcique NMDA au niveau central (médullaire et surtout supramédullaire) Ce faisant, elle va pouvoir créer à des doses de 2 à 3 mg/kg une anesthésie dite dissociative. Le patient semble vigil mais il n’est plus connecté avec la réalité. On ne peut pas communiquer avec lui, et il ne montre pas de signes pouvant se traduire par une réaction douloureuse. A des doses moindres (0,5 mg/kg) la kétamine va avoir des propriétés anti-inflammatoires et analgésiques.

NMDA1

La kétamine a peu d’effets hémodynamique ou respiratoire gênants. Cela en a fait la molécule de choix pour pratiquer l’anesthésie dans des milieux à la surveillance limitée (médecine humanitaire, préhospitalier) ou pour anesthésier des patients en états de choc (hémorragique, tamponnade, crise d’asthme grave, etc.)

Concernant l’hémodynamique la kétamine utilisée seule stimule le système nerveux sympathique, augmente la fréquence cardiaque, la consommation d’oxygène du myocarde etc. En utilisant la kétamine avec de faibles doses de benzodiazépines ou d’hypnotiques comme je pense que nous le faisons majoritairement dans les blocs opératoires et les salles d’urgences ces effets n’existent plus, il faut oublier ce truc de textbook des seventies qui dit : « pas de ketamine chez le coronarien »…

La kétamine ne gêne pas (ou si peu) la mécanique ventilatoire comme ses cousines hypnotiques. Mieux : elle maintient le tonus des muscles des voies aériennes supérieures, c’est la molécule idéale pour faire de l’analgésie en préhospitalier dans le cadre d’une désincarcération par exemple. Elle a également des propriétés bronchodilatatrices.

Quant à l’effet sur le cerveau il est plutôt complexe. Néanmoins il faut aussi oublier cette vieille contre-indication de l’hypertension intracrânienne car de petites doses d’hypnotiques émousseront clairement la stimulation sympathique qui augmentait le débit sanguin cérébral. En cas de traumatisme crânien sévère associé à un collapsus (polytrau, hémorragie, etc) c’est même cette molécule qui préservera le mieux la pression artérielle moyenne pour avoir une pression de perfusion cérébrale satisfaisante. Ensuite après avoir subi une mauvaise presse fin des années 1970-début 1980 sur une imputabilité douteuse dans des crises convulsives, la kétamine est désormais vu comme pouvant avoir des propriétés neuroprotectrices. Elle peut être tentée comme traitement de secours lorsqu’un état de mal convulsif ne cède pas avec les drogues usuelles.

La kétamine est également peu histaminolibératrice, son utilisation ne pose pas de soucis chez les patients myopathes ou aux antécédents d’hyperthermie maligne. La prudence reste de mise en cas de porphyrie.

 » – Voilà une bonne molécule d’anesthésie non ?

– oui mais les patients ne sont-ils pas plus à risque de troubles cognitifs post-opératoires ? »

C’est vrai que c’est une récrimination classique. La littérature ne va pas forcément dans ce sens, avec une étude en chirurgie cardio-vasculaire qui ne montre pas une plus grande incidence de troubles cognitifs post-opératoire avec la kétamine. De même chez les psychotiques ou les dépressifs sévères, la kétamine utilisée à bon escient pourrait même être bénéfique ou protectrice pour ces patients (pas mal de recherches en cours sur la dépression sévère notamment). Quant aux personnes âgées, j’ai lu que c’était le pic de concentration cérébrale qui semblait être le plus pourvoyeur d’effets pyscho-dysleptiques, je modère donc les doses de kétamine, et je l’administre en IVL (dans le Ringer) plutôt qu’en IVD.

Aujourd’hui dans les blocs opératoires la kétamine est plutôt utilisée pour prévenir l’hyperalgésie que pour l’hypnose. Grosso modo, l’hyperalgésie c’est ce que vit un patient qui échappe au contrôle de la douleur par la morphine. Plus on administre de morphine, plus les systèmes parallèles de relais de l’information douloureuse sont sollicités. Quand on bloque très fort les voies de la nociception en liant un morphinique au récepteur µ, on fait d’autant ressortir d’autres voies comme celles liées au glutamate et à son canal calcique récepteur, le canal NMDA. Dans la corne dorsale de la moelle, la plasticité neuronale se met en jeu pour faciliter le passage de l’information douloureuse avec pour conséquences cliniques une allodynie et/ou une hyperalgésie. La kétamine bloque le canal NMDA.

En pratique, dans notre hôpital l’utilisation est « protocolée ». Au bloc opératoire où l’on pratique de la chirurgie générale (endocrinienne, viscérale, urologique et vasculaire) on administre un bolus de 0,5 mg/kg à l’induction, puis on fait une administration continue (seringue de 100 mg de kétamine dans 50 ml) à 0,1 mg/kg/h. Et dans les 48 premières heures post-opératoires on poursuit la SAP à 0,05 mg/kg/h.

Dans la série détails qui comptent : je fais toujours un hypnotique avant l’administration de la kétamine. Il n’y a pas d’intérêt à commencer par la kétamine dans sa séquence d’induction. Deuxième détail : j’essaye au maximum de couper la SAP de kétamine avant la fin du bloc, en effet la kétamine et son métabolite déméthylé (nor-kétamine) peuvent participer à l’hypnose et retarder le réveil du patient.

La kétamine se révèle aussi souvent efficace pour atténuer des syndromes douloureux complexes « résistants » aux morphiniques ou aux traitements usuels : anti-épileptiques, TENS, etc. Malheureusement il existe peu de structures qui peuvent accueillir les patients pendant plusieurs jours d’affilée en hospitalisation pour les « imprégner » de kétamine en vue d’obtenir un effet rémanent.

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Liu HT, Hollmann MW, Liu WH, Hoenemann CW, Durieux ME. Modulation of NMDA receptor function by ketamine and magnesium: Part I. Anesth Analg. 2001 May;92(5):1173–81.
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Bell RF, Dahl JB, Moore RA, Kalso E. Peri-operative ketamine for acute post-operative pain: a quantitative and qualitative systematic review (Cochrane review). Acta Anaesthesiol Scand [Internet]. 2005 Nov [cited 2012 Aug 26];49(10):1405–28. Available from: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16223384
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Chia YY, Liu K, Wang JJ, Kuo MC, Ho ST. Intraoperative high dose fentanyl induces postoperative fentanyl tolerance. Can J Anaesth. 1999 Sep;46(9):872–7.
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Hollmann MW, Liu HT, Hoenemann CW, Liu WH, Durieux ME. Modulation of NMDA receptor function by ketamine and magnesium. Part II: interactions with volatile anesthetics. Anesth Analg. 2001 May;92(5):1182–91.
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Kranaster L, Hoyer C, Janke C, Sartorius A. Preliminary evaluation of clinical outcome and safety of ketamine as an anesthetic for electroconvulsive therapy in schizophrenia. World J Biol Psychiatry. 2012 Mar 8;
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Kudoh A, Katagai H, Takazawa T. Anesthesia with ketamine, propofol, and fentanyl decreases the frequency of postoperative psychosis emergence and confusion in schizophrenic patients. J Clin Anesth. 2002 Mar;14(2):107–10.
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Hudetz JA, Iqbal Z, Gandhi SD, Patterson KM, Byrne AJ, Hudetz AG, et al. Ketamine attenuates post-operative cognitive dysfunction after cardiac surgery. Acta Anaesthesiol Scand. 2009 Aug;53(7):864–72.
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Himmelseher S, Durieux ME. Ketamine for perioperative pain management. Anesthesiology [Internet]. 2005 [cited 2012 Sep 18];102(1):211. Available from: http://journals.lww.com/anesthesiology/Abstract/2005/01000/Ketamine_for_Perioperative_Pain_Management.30.aspx

19 réponses sur « La kétamine »

L’autre intérêt de passer la kétamine en IVL me paraissait d’éviter les spasmes laryngés. 2 confrères auraient eu une malheureuse expérience (surtout en pédiatrie). Qu’en pensez-vous?

J’ai oublié… encore merci pour ce superbe blog…

Merci pour le commentaire.

J’ai fait très peu de pédiatrie. Je connais mal le sujet. Je ne peux donc pas répondre spécifiquement à votre question.

De façon plus générale je pousse tous les produits que j’injecte en IV doucement. Dans l’expérience malencontreuse que vous rapportez comment l’imputabilité de la kétamine (utilisée seule ?) s’établit ?

Merci pour ton résumé ^^

C’est effectivement une chouette molécule à utiliser.

Concernant le moment de l’administration, certains disent qu’il faut attendre le stimulus nociceptif car la kétamine va se fixer sur les récepteurs NMDA activés, donc autant profiter du pic plasmatique à ce moment-là d’après eux.
Après avoir eu à induire plusieurs patients en choc septique, je me suis dit a posteriori que la Kétamine a beaucoup d’avantages dans cette indication : peu d’impact sur l’hémodynamique par rapport à d’autres hypnotiques, préservation de la ventilation et de la déglutition, et surtout il n’a pas l’effet de « blocage surrénalien relatif » de l’étomidate qui aurait montré un effet négatif sur l’outcome dans cette situation.
Nous l’utilisons à foison chez nous (le chef est TRES porté sur l’hyperalgésie, vous savez, celui qui adore les alpha2-agonistes 😉 ). Nous l’utilisions aussi pour les sédations pour colonoscopie (avec Xylocaïne et Propofol) par exemple mais les patients en ayant reçu restaient plus longtemps en salle de réveil. Logique mais à avoir en tête.

Notre protocole : 0,5mg/kg à l’induction, 0,25mg/k/h en entretien et arrêt de l’infusion continue une bonne demi-heure avant la fin de l’anesthésie. Les agitations post-opératoires sont quand même très rares chez nous je pense (faut dire qu’on les charge bien en clonidine^^).
En post-opératoire, il nous arrive d’en mettre en adjuvant des morphiniques en PCA à la dose de 2mg de Kétamine pour 1 mg de morphine chez des douloureux chroniques ou toxicomanes.

Concernant le commentaire de Lilizara, je suis assez surpris, bien que je ne l’utilise pas en pédiatrie. J’aurais même tendance à en mettre en cas de spasme laryngé ou bronchique, du moins chez l’adulte. Et l’enfant a de base de nombreuses autres raisons de faire un spasme laryngé. J’essaierai d’en parler à notre dieu de l’anesthésie pédiatrique 😉

@ bientôt

En fait je voulais dire qu’en pratique, on favorisait l’IVL voir « très L » par rapport à l’IVD pour éviter le spasme laryngé…

Merci pour ton commentaire.

J’intube quasiment toujours en urgence avec de la ketamine +/- celo ou rocu

Pour le moment de l’injection de la kétamine je lis des choses paradoxales, moi je l’injecte comme décris dans ce billet et/ou dans mon post sur l’induction en chirurgie viscérale. Je vais aller fouiller dans l’excellent livre de Georges Mion pour retrouver des articles sur ce sujet. (pubmed rapide dit peu d’influence du timinig dans différentes études http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21773855)

Pour les colos ambulatoires, je trouve qu’il n’y a rien de mieux/sécu que le propofol seul.

Pour les PCA, nous n’avons pas cette pratique. Il y a eu un effet de mode quant à l’administration de la ketamine dans les PCA mais il y a eu quelques articles moins encourageants avec revirement des pratiques. Le focus sur une certaine population de patient parait malin.

Enfin si Monsieur V a un commentaire à venir faire ici j’en serais extrêmement honoré 🙂

bye

PS tu fais quoi de beau après ? es tu encore MACS ou t’as fini ?

Je ne sais pas quand je le verrai puisque je ne suis pas actuellement sur Bruxelles mais en périphérie. Je lui écrirai un mail.
Je suis toujours MACCS, actuellement en réa dans le Hainaut.

Lilizara : l’explication qui me vient en premier pour un laryngospasme dans cette situation serait l’hypersalivation et une narcose trop peu profonde. Mais encore une fois, j’ai rarement vu utiliser la Kétamine en pédiatrie, ce n’est qu’une supposition de ma part.
Une chose est sûre : la kétamine s’utilise pour lever des bronchospasmes et laryngospasmes.

Bien à vous 😉

Suite à un problèlmes d’extensions dans WordPress j’ai perdu tous les commentaires que je vous avez faits 🙁

en mode fast :
– connais pas la pédiatrie, tout ce que je sais c’est qu’il vaut mieux les endormir profondément
– pas d’autres explications au laryngospasme ?

– j’injecte toutes mes drogues doucement, c’est une règle personnelle
– j’ai vu des articles qui avaient l’air de dire qu’avec des critères cliniques, le moment d’injection de la kétamine ne changeait pas l’outcome

– pour les colos ambu pour moi il n’y a rien de mieux que le propofol seul et un endoscopiste rapide qui exsuffle bien
– je suis très preneur de l’avis de monsieur V sur la kétamine et spasme laryngé

Me voilà de retour avec l’avis de M. Veyckemans :

« Pour ce qui est de la kétamine, elle augmente en effet le risque de laryngospasme car elle stimule les réflexes laryngés en plus de provoquer l’hypersalivation. Cet effet ne se remarque que quand on utilise la kétamine dans le cadre d’une sédation. Les petites doses que nous utilisons pour prévenir la douleur postopératoire n’ont que peu d’effet à ce niveau et sont en tous cas masqués par l’AG et l’intubation associées.
La vitesse d’injection n’a pas d’effet majeur pour ces deux effets mais on peut imaginer une sorte de blocage thoracique comme avec beaucoup de morphiniques de synthèse. »

J’aimerais qu’on m’éclaire un peu sur la mauvaise réputation de la ketamine concernant l’épilepsie …
La seule chose qui m’en reste est la commentaire d’un neuropediatre qui me racontait l’emploi de ketamine dans les épilepsies focales réfractaires …
Les « savants » autour de moi crient au fou quand je raconte ça
Help !!!!
La ketamine abaisse-t- elle le seuil d’épilepsie ? Peut-on l’utiliser à dose raisonnable chez un épileptique ?
Merci pour vos commentaires
Bises et bonne année à tous,
À Prof V de ma part via guillaume (de la part de Didier le Roux)

Induction/choc septique/coronarien :
Je suis aussi un utilisateur convaincu par la kétamine en réanimation (analgésie) et au bloc opératoire. En revanche j’ai eu 2 expériences malheureuses avec elle en réanimation :
1- sédation pour ponction pleurale : hypoTA puis bradycardie chez un patient postop chir coronarienne
2- induction pour intubation en urgence chez patient arrivant des étages en choc septique (on avait éliminé la tamponade) après chir cardiaque : ACR brutal…

J’ai pas trouvé d’argument valable en dehors des « textbooks » comme tu dis
Any idea?

Une utilisation peu connue est le mélange propofol Ketamine à une certaine dose.
En effet ces deux drogues ayant des effets s’opposant point par point, à une certaine dose le melange des deux permet d’avoir une stabilité hémodynamique parfaite ! Et tout ça l’inhibition des surrénales de l’etomidate avec en plus une analgesie !

Deux options: soit le KETOFOL qui est commercialisé
Soit faire soit le mélange, ce que je fais. Propofol 1-1,5mg/kg + ketamine 0,75mg/kg dans la même seringue mélangée.
Ca marche du feu de dieu et je l’utilise très souvent en alternative à l’etomidate.
Pour les intéressés : y’a plein d’articles sur pubmed.

Yazan Chaban
Hôpital Erasme
Bruxelles

J’aime beaucoup la kétamine mais j’avoue en faire moins facilement qu’avant, ou alors de plus faible doses comme ce que vous décrivez. Aujourd’hui, la noradrénaline diluée coule dans le patient avant l’induction, c’est peut être jugé maximaliste comme prise en charge mais couplée à des doses prudentes d’hypnotiques comme vous le décrivez, je trouve ça super

J’ai enfin trouvé : c’est un peu l’ephedrine du sympathique : si choc (cardiogenique) prolongé, plus de réserves endogènes à libérer et donc on démasque un effet inverse intrinsèque de la molécule… cf expériences canadiennes notamment le PAC
Bises

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